lundi 4 avril 2011

Décrochage scolaire

Le décrochage scolaire fait référence au fait d’abandonner un parcours scolaire minimal attendu. De façon générale, il s’agit du diplôme d’études secondaires (DES) ou du diplôme d’études professionnelles (DEP), quoique l’on tende de plus en plus à reconnaître d’autres modes de certification pour les élèves les plus faibles. Les décrocheurs potentiels sont les élèves qui risquent d’abandonner leurs études et ce sont eux que l’on veut rejoindre.
La définition actuellement utilisée au ministère de l’Éducation, bien qu’elle soit imparfaite, nous permet tout de même de circonscrire adéquatement le phénomène du décrochage. Un décrocheur, appelé aussi sortant sans diplôme, est un élève qui, inscrit au 30 septembre d’une année, n’est ni diplômé au cours de l’année, ni inscrit l’année suivante, que ce soit à la formation générale des jeunes (dans le secteur public ou privé), à la formation générale des adultes ou à la formation professionnelle.
Il est important de souligner que l’on n’aborde pas ici la question sous l’angle du décrochage social, qui est un phénomène beaucoup plus restreint et fait davantage référence à la marginalité et à l’exclusion sociale. Bien que les deux phénomènes présentent certains liens, il serait imprudent de conclure que le décrochage scolaire mène automatiquement au décrochage social.
Des chiffres
L’éducation a été, de tous les temps et de toutes les civilisations, source de liberté, d’indépendance, de connaissance, de culture, de pouvoir et de responsabilité. C’est pourquoi une des plus grandes réussites de notre société a été de rendre l’éducation accessible à tous.
Avec le temps, c’est l’augmentation de la diplomation qui s’est révélée le plus grand défi à relever. Dans une société dont l’économie est dorénavant bâtie sur le savoir, les personnes qui ne possèdent pas les qualifications minimales sont appelées à être exclues d’un marché du travail de plus en plus exigeant. En effet, les statistiques sur le chômage sont éloquentes : en 1998, le taux de chômage chez les personnes n’ayant pas complété leurs études secondaires était de 15%, alors qu’il était de 10% chez les personnes ayant un diplôme d’études secondaires, de 5,8% chez celles ayant complété des études collégiales et de 5% chez les personnes titulaires d’un diplôme universitaire.
Ces tendances risquent de s’accentuer dans les années à venir, la mondialisation faisant en sorte que l’on déplace les activités exigeant peu de scolarisation vers les pays où les salaires sont moins élevés. Il devient donc important de hausser le niveau de qualification de la population, afin d’assurer à tous une qualité de vie intéressante et de poursuivre la croissance économique actuelle.
La faible scolarisation a d’autres conséquences négatives :
- un état de santé généralement moins bon,
- un taux de mortalité plus élevé,
- une dépendance sociale accrue
- et une certaine fragilité au regard des changements technologiques.
Pourtant, les résultats globaux du Québec sur la scène internationale nous amènent à garder le phénomène en perspective. En effet, avec un taux de diplomation moyen de 81%*, le Québec se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE (79%), devant le Canada (72%) et les États-Unis (74%), mais derrière le Japon (96%), l’Allemagne (93%), la Finlande (89%) et la France (87%).
Heureusement, le décrochage scolaire est un phénomène réversible. De nombreuses personnes décident de retourner sur les bancs d’école à tout âge, pour obtenir un premier diplôme qui leur permettra d’améliorer leur sort.
Toutefois, cette situation coûte cher au système et aux individus, qui doivent faire d’énormes sacrifices pour reprendre leurs études.
Le principal défi à relever au cours des prochaines années consiste donc à augmenter la diplomation, mais également à abaisser l’âge d’obtention des diplômes. En effet, le ministère de l’Éducation s’est fixé l’objectif suivant : que 80% des jeunes obtiennent un diplôme avant l’âge de 20 ans, comparativement au taux de 70% à 72% qu’on observe au Québec depuis quelques années.
*Ce taux ne tient pas compte de l’âge d’obtention du diplôme. Cet élément joue en faveur du Québec, qui a un système d’éducation des adultes permettant à ses citoyens un rattrapage quelquefois tardif.
Un phénomène complexe
Le phénomène du décrochage scolaire est fort complexe, compte tenu notamment de la multiplicité des facteurs de risque qui agissent différemment selon les individus ou l’âge, le sexe ou l’appartenance sociale de ces derniers, par exemple. Les facteurs de protection varient également selon les individus et certains, bien qu’ils soient efficaces, échappent à la planification sociale*.
Malgré ces réserves, soutenir la persévérance scolaire et lutter contre le décrochage consistent à diminuer les facteurs de risque et à augmenter les facteurs de protection.
- Les facteurs de risque sont généralement regroupés dans les catégories suivantes :
- Les facteurs personnels, comme les aptitudes et la santé, mentale ou physique, font partie des éléments explicatifs qui peuvent exercer une influence sur la persévérance scolaire.
- Les facteurs interpersonnels tels que l’isolement social, le rejet par les pairs ou encore l’association à des pairs déviants, qui entrent particulièrement en jeu à l’adolescence.
- Les facteurs familiaux, par exemple la désunion, l’isolement, la faible scolarité et les problèmes sociaux des parents. De même, l’attitude des parents à l’égard de la scolarisation aura une influence plus ou moins positive sur la persévérance scolaire de leurs enfants.
- Les facteurs institutionnels, comme l’atmosphère à l’école (climat relationnel entre les élèves et entre les adultes), les pratiques éducatives, la gestion des comportements (stimulation, soutien, sécurité et encadrement) et les valeurs véhiculées. Ainsi, une relation chaleureuse avec un enseignant est un facteur important de protection et de motivation. La qualité des liens qu’entretient la famille avec l’école et avec la communauté s’avère également primordiale.
- Les facteurs environnementaux, en particulier la défavorisation. D’autres facteurs ont également une influence, comme la désorganisation sociale dans une communauté ou le taux de criminalité observé dans celle-ci.
Les décrocheurs ont des profils différents et vivent dans des environnements différents. Ce constat doit nous amener à réfléchir sur les actions préventives et les interventions que nous devons prévoir afin de viser l’ensemble des jeunes décrocheurs. Certaines mesures préventives peuvent être mises en œuvre en fonction de l’ensemble d’une population, alors que d’autres doivent être conçues en fonction de la diversité des profils de décrocheurs. Les actions vont également différer selon l’âge des personnes visées.
Quatre profils de décrocheurs
Il existe différentes façons de décrire le profil des décrocheurs. Nous retiendrons toutefois la typologie de Janosz, qui propose quatre profils qui rendent compte d’une importante hétérogénéité au regard de l’engagement, de la rébellion et du rendement scolaire.
Les « discrets » (± 40 % des décrocheurs) présentent un profil d’étudiant comparable à celui des futurs diplômés : ils aiment l’école, se disent engagés dans leur scolarisation et ne présentent aucun problème de comportement. Leur rendement scolaire est cependant faible et ils viennent de milieux socioéconomiques plutôt défavorisés.
Les « inadaptés » (± 40 %) se distinguent par un profil scolaire et psychosocial négatif : échecs scolaires, problèmes de comportement, milieu familial difficile, etc.
Les « désengagés » (10 %) sont des jeunes qui ne présentent aucun problème de comportement et qui réussissent dans la moyenne, mais qui se disent désengagés par rapport à leur scolarisation.
Les « sous-performants » (10 %) sont des jeunes qui, en plus d’être désengagés, sont en situation d’échec à l’école. Ils ne présentent aucun problème de comportement. Ces différents types de décrocheurs se distinguent aussi du point de vue de leur adaptation psychosociale générale. Alors que les décrocheurs discrets présentent le profil psychosocial le plus positif, les décrocheurs inadaptés affichent pour leur part une vulnérabilité sur tous les plans (délinquance, famille dysfonctionnelle, immaturité, habitudes de vie néfastes, etc.). Les désengagés et les sous-performants se situent entre les deux types précédents.
D’autres typologies sont aussi valables, mais l’essentiel à retenir est que les jeunes qui décrochent peuvent se distinguer suffisamment les uns des autres pour justifier la mise en œuvre d’interventions différenciées, conçues selon les forces et les difficultés des élèves en cause.
*L’exemple du jeune garçon qui devient amoureux d’une fille studieuse (ou l’inverse) illustre bien cette idée de facteur de protection non planifiable
Écart garçons et filles
Même si un bon nombre de garçons réussissent bien, le phénomène du décrochage scolaire les touche plus particulièrement. En effet, deux décrocheurs sur trois sont de sexe masculin. Dès le primaire, l’écart entre les garçons et les filles est notable.
- La langue d’enseignement est la matière dans laquelle l’écart est le plus grand. Par exemple, les résultats de 1998 à l’épreuve de lecture du PIRS* montrent que, parmi les francophones du Québec, 67% des filles de 13 ans ont atteint un niveau intéressant relativement à la maîtrise de la lecture (3e niveau sur 5), comparativement à 43% des garçons, soit un écart de 23 points. Chez les anglophones du Québec, l’écart est un peu moins grand (18 points), mais les résultats en lecture anglaise sont plus faibles : 51% chez les filles par rapport à 33% chez les garçons.
- En 2000-2001, 25% des garçons étaient en situation de retard scolaire à la fin du primaire, comparativement à 17,8% des filles, phénomène qui se maintient depuis 35 ans.
- En septembre 1997, on notait deux garçons pour une fille chez les élèves de 6 à 11 ans qui présentaient des difficultés d’apprentissage ou d’adaptation. Pour ce qui est des élèves présentant des troubles du comportement, ce rapport était de 5,5 garçons pour une fille.
Au secondaire, les difficultés observées sont globalement les mêmes qu’au primaire, à la différence qu’elles obéissent à une logique cumulative qui, année après année, creuse un peu plus l’écart entre les garçons et les filles. Parmi l’ensemble des garçons ayant quitté l’école secondaire en 2000-2001, 31,0% n’avaient pas obtenu leur diplôme, alors que la proportion était de 18,5% chez les filles.
Cet écart entre les garçons et les filles n’est pas une question de potentiel intellectuel lié au sexe. Les recherches ciblent plutôt le rapport, les attitudes ainsi que les stratégies que développent les garçons envers l’école et le métier d’élève, la socialisation dans la famille et à l’école, le rythme d’apprentissage et les facteurs sociaux tels que le milieu social dans lequel évolue l’enfant ou l’adolescent.
L’écart entre la réussite scolaire des garçons et celle des filles se manifeste dans toutes les couches sociales, bien qu’il soit davantage perceptible en milieu défavorisé. Alors que les filles des milieux populaires perçoivent plus spontanément la réussite scolaire comme la clé qui leur ouvrira des portes et leur permettra de mener une vie professionnelle gratifiante et une vie familiale sur laquelle elles auront plus de prise, les garçons de ces mêmes milieux se rabattent sur les prérogatives que leur assure leur masculinité. C’est pourquoi la scolarisation apparaît davantage aux filles comme le lieu d’un enjeu alors que les garçons ne voient pas toujours, conformément au mode traditionnel d’accès au marché du travail avec une scolarité réduite, en quoi ils auraient intérêt à y associer leur destin.
Toutefois, il ne faut pas croire que le décrochage scolaire est un phénomène exclusivement masculin. Malgré leur propension moins grande à l’abandon, trop nombreuses sont les filles qui quittent l’école pour la vie d’adulte. Pour plusieurs, la maternité leur procurera un statut social qui deviendra lourd à porter sans diplôme. De plus, les conséquences du décrochage scolaire sont globalement plus problématiques pour les femmes, sur le marché du travail.
Pour contrer le décrochage scolaire, il est nécessaire de retenir que les facteurs sociaux influent différemment sur les garçons et sur les filles et d’adapter les interventions en tenant compte de ce fait.
*PIRS : Programme d’indicateurs du rendement scolaire, sous la responsabilité du Conseil des ministres de l’Éducation du Canada. Cette épreuve est administrée tous les quatre ans.
La réalité de Montréal
La situation à Montréal présente des particularités à plusieurs égards. D’une part, le défi que constitue dans cette région le rehaussement de la scolarité générale de la population est d’autant plus grand que son économie repose davantage sur le savoir.
D’autre part, son bilan par rapport à l’ensemble du Québec est plus lourd : la proportion de personnes ayant obtenu un diplôme d’études secondaires est nettement inférieure, qu’il s’agisse de la population en général (77,5 % par rapport à 82,5 %) ou des jeunes âgés de moins de 20 ans (67,8 % par rapport à 71,7 %). Et ce, sans égard au fait qu’il y a aussi une proportion plus élevée de diplômés universitaires à Montréal que dans l’ensemble du Québec*.
Avec de tels chiffres, on ne peut être surpris de constater qu’en 2000-2001 le réseau public de l’île de Montréal comptait 32,6 % de sortants sans diplôme, comparativement à 26,4 % pour l’ensemble du Québec. Au total, c’est plus de 4 200 élèves de l’île de Montréal, au secteur des jeunes, qui abandonnent chaque année leurs études sans diplôme, sans compter ceux et celles qui abandonnent de nouveau après avoir fréquenté le secteur des adultes.
Écoles privées et écoles publiques
De plus, cette moyenne montréalaise se répartit de façon non équitable : alors que les écoles privées et les programmes publics sélectifs ne comptent pratiquement aucun décrocheur – les plus faibles ou les moins motivés étant exclus soit à l’entrée, soit durant leur parcours avant qu’ils ne décrochent – les écoles publiques non sélectives ont des taux de décrochage qui varient passablement. L’ampleur de ce phénomène de double réseau est unique à Montréal : près de 30 % des élèves du secondaire fréquentent le secteur privé, qui garde les élèves les plus forts ou ceux qui sont soutenus par leur milieu familial. Il résulte de cette situation une pression toujours plus grande sur le réseau public pour améliorer ses performances auprès d’une population scolaire qui s’alourdit.
La clientèle immigrante
Une autre problématique à laquelle la région de Montréal fait face est évidemment son mandat d’intégration des immigrants. En effet, les enfants nés à l’extérieur du pays représentent jusqu’à 25 % de l’effectif des commissions scolaires francophones. Pour ces jeunes immigrants, l’école publique est un lieu de francisation, de rattrapage scolaire et, pour certains, d’intégration à la société québécoise sur le plan des valeurs et des attitudes.
Pour les écoles, au mandat d’assurer l’éducation des jeunes s’ajoute la tâche de rejoindre les parents, sur les plans linguistique et culturel.
La pauvreté
Enfin, et c’est bien connu, Montréal est une ville d’extrêmes où l’écart entre la richesse et la pauvreté tend à augmenter. La pauvreté est un facteur important qui influence négativement la réussite scolaire et elle est davantage concentrée dans certains quartiers de Montréal, ce qui représente une autre difficulté.
Les multiples défis à relever dans la région de Montréal nécessitent une action régionale d’importance, à laquelle la démarche en cours entend contribuer.

* Source: MELS

Aucun commentaire: